Indie Hacking : nouveau paradigme de création d'entreprise ?

« In a way [indie hacking] has replaced the Lean Startup of 2010, as somewhat of an update to it: no customer interviews, just go straight to lean prototyping, launch fast, throw stuff at the wall and see what sticks, nuke it if it doesn't work and go on to the next project while broadcasting your journey publicly as marketing »
Intro
Cet article présente le concept de Indie Hacking, un paradigme de création d'entreprise apparu dans le monde anglo-saxon autour de 2015, qui gagne chaque année en popularité (cf : google trends ci-dessous). Mon hypothèse est la suivante : ce qui se passe aujourd'hui dans le domaine de la création d'entreprises ressemble à ce qui s'est passé ces dix dernières années dans celui de la création de contenus. Grâce aux nouveaux outils de production et de diffusion, les créateurs de contenus se sont progressivement passés d'intermédiaires jusqu'à obtenir une relation quasi immédiate avec leur audience via des plateformes comme Youtube, Tik Tok, Instagram. Il est possible que les créateurs de produits/services, grâce à l'avènement des outils no-code, puis l'arrivée de l'IA générative, parviennent progressivement à lancer leurs business sans l'aide des traditionnels "intermédiaires" que peuvent être les business-angels, les VC, les startup studio.
Note : il va de soi que ce phénomène est d'autant plus marqué que le produit/service conçu a un rapport avec le traitement de l'information, où les outils évoqués ci-dessus atteignent leur maximum de potentiel. Mais il faut garder à l'esprit qu'aujourd'hui le traitement de l'information est un pilier stratégique d'un nombre croissant d'entreprises, tous secteurs confondus, ce qui fait que ce constat ne peut pas être limité au seul secteur des technologies de l'information et de la communication. Les néo-banques, ou les applications de troisième pilier, sont un bon exemple de ce principe.
Qu'est-ce que le Indie Hacking ?
Définition
De "indie" pour indépendant et "hacking" pour… hacking, le Indie Hacking désigne l'ensemble des pratiques mises en oeuvre par des individus, les indie hackers, pour démarrer un business avec le moins de fonds possible, en un laps de temps le plus court possible. Le Indie Hacking s'est construit en opposition au mode opératoire des startups "classiques", qui nécessitent une injection de fonds conséquents avant même de posséder un produit. Les indie hackers partent du principe que le test ultime pour l'hypothèse centrale de la création d'une entreprise qui est "ce produit/service répond-il à un besoin du consommateur X ?" (en gros le product-market fit) est simplement d'essayer… de vendre le produit au consommateur. La particularité de leur mode opératoire consiste à lancer de nombreux produits en parallèle et voir lequel fait mouche. Bien sûr, on peut considérer que certaines techniques standards du lancement d'une startup comme la fake-door (présenter le produit sans l'avoir encore développé), ressemblent aux techniques du Indie Hacking, mais là où se situe l'art du Indie Hacking c'est que fake-door, proof of concept, prototype, mvp, fusionnent désormais en un seul produit qui doit être capable de présenter au mieux la proposition de valeur du produit final, sans pour autant nécessiter d'avoir construit et automatisé toute la chaîne de production qui la délivrera avec bénéfice. C'est un tour de force.
La prouesse du indie hacker se situe dans sa capacité à modéliser la version la plus simple de son produit, qu'il est d'ores et déjà capable de délivrer au client contre paiement, sans avoir trahi son idée initiale et le business-model qui l'entoure.
Un exemple de Indie Hacking : PhotoAI de Pieter Levels
Impossible d'écrire un article sur le Indie Hacking sans évoquer Pieter Levels, aka @levelsio sur X, jeune indie hacker originaire d'Amsterdam, devenu ensuite digital nomad, ayant lancé plus de 70 projets, dont seulement 4 ont fini par payer. Payer beaucoup.
🍰 Only 4 out of 70+ projects I ever did made money and grew
— @levelsio (@levelsio) November 7, 2021
📉 >95% of everything I ever did failed
📈 My hit rate is only about ~5%
🚀 So...ship more pic.twitter.com/oAn2rdRpFT
Immédiatement, une pensée nous traverse, qui est d'ailleurs un commentaire auquel lui-même doit souvent faire face, puisqu'il tweet à ce propos très souvent : ne dit-on pas aux entrepreneurs que la clé du succès c'est de se focaliser sur un seul projet ? Et voilà un personnage qui prétend être devenu millionaire, dans la trentaine, en ayant fait littéralement l'inverse. Pieter Levels lui-même, pour répondre à cela, utilise souvent l'exemple de Musk, l'un des entrepreneurs les plus riches du monde, qui multiplie les projets à gauche à droite sans se soucier de cohérence : PayPal, Tesla, SpaceX, Neuralink, X, et ainsi de suite. Personnellement j'ajouterais que l'idée selon laquelle il faudrait se focaliser sur un seul projet pour réussir est elle-même très vague. Devenir excellent en Indie Hacking, et parvenir à lancer des micro-services à la chaîne est en soi un projet sur lequel un individu comme Pieter Levels est devenu imbattable.
Le projet de Pieter Levels sur lequel je souhaitais me pencher est https://photoai.com/. La proposition de valeur est évidente : donne-moi 10 photos de toi, je produis ensuite un nombre illimités de portraits dans des styles, des poses, et des contextes différents. Un pur produit de l'IA générative, dopé à Stable Diffusion. La pipeline de ce produit est assez simple à imaginer (je ne prétends pas décrire ici le stack technologique officiel, mais supposé) :
10 photos d'un utilisateur, stockées sur un serveur (ça pourrait être un Google Drive)
Ces 10 photos sont utilisées pour entraîner un LoRA spécifique à l'utilisateur (sorte de modèle de génération d'images simplifié entraîné pour reproduire un visage, un style, une pose)
Le LoRA est ensuite combiné à un modèle dit "checkpoint" de génération d'images comme SDXL, pour créer n'importe quelle image avec le visage de l'utilisateur.
On renvoie la photo quand elle est générée.
Le système fonctionne sous la forme d'un SaaS. Les coûts d'infrastructure se situent surtout au niveau de l'utilisation de GPU, qu'on peut sans problème obtenir avec un abonnement cloud chez AWS. Si l'on en croit @levelsio, ce SaaS lui rapporterait 50K par mois. Not bad.
À ce stade, on peut considérer qu'on est en face d'un SaaS de qualité, avec une bonne infrastructure et une automatisation suffisante pour générer des bénéfices conséquents. Où se situe le Indie Hacking ?
Pieter Levels, dans l'interview ci-dessous, explique son mode opératoire au lancement de ce projet. C'est là qu'il y a un tour de force. En bon indie hacker, Levels savait qu'il était possible de prendre des photos d'utilisateurs pour entraîner un LoRA avec lequel générer des nouvelles images, mais aucune étape de sa pipeline n'était encore automatisée quand il a lancé la première version du site. Le site n'était alors qu'un formulaire en PHP permettant de dropper 10 photos, payer, et attendre d'obtenir son sésame. En backend, Levels récoltait les photos sur un Drive (ou une Dropbox, peu importe), entraînait le LoRA via un autre service (il évoque d'abord un acteur trop cher, puis être passé chez https://replicate.com/, qu'il utilise encore), générait les photos à la main (via un programme de génération d'images comme https://github.com/AUTOMATIC1111/stable-diffusion-webui, par exemple) et renvoyait dès qu'elles étaient prêtes les images à l'utilisateur.
C'est là qu'il y a un tour de force. Dès les premières ventes le product-market fit est éprouvé, le produit peut déjà être livré aux premiers clients, et l'automatisation du backend qui permettra d'être rentable, à terme, peut commencer en toute sérénité (ou pas).
Techniques du Indie Hacking
Les techniques les plus répandues du Indie Hacking sont les suivantes :
"Release early. Release often. And listen to your customers"
La fameuse phrase extraite de The Cathedral and the Bazaar de Eric S. Raymond en 1997, s'applique parfaitement au Indie Hacking. Dans cette approche de l'entrepreneuriat, l'essentiel est d'aller le plus vite possible de l'idée au MVP. La seule mesure du product-market fit est la conclusion d'une vente. Et la seule façon de conclure une vente est d'avoir présenté au client final le produit en lui-même. C'est là toute la particularité du Indie Hacking : parvenir à faire que le MVP reflète suffisament bien le produit final pour susciter la vente, indépendament du fait qu'on ait déjà trouvé la solution de l'implémentation finale de la chaîne de production.

Elliot Vaucher
Fondateur de RITSL